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Nouvelle donne

1 avril 2011

Après quelques semaines plutôt confuses et marquées par des reculs inquiétants, des violences et des arrestations, de nouvelles raisons d’espérer dans la révolution égyptienne se font jour. Et c’est en soi une bonne raison de reprendre la plume ou le clavier.

Ce premier avril a renoué avec les belles heures de mobilisation de février : des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur une place fermée aux voitures par des cordons de sécurité. L’appel à la manifestation était dans la presse et sur le net depuis plusieurs jours : « Ensemble, il faut sauver la révolution » (inqâz el-thawra), et c’est un public très divers sur le plan social qui y a répondu.

Sauver la révolution cela signifie pour les manifestants : obtenir que Mubarak soit jugé (père et fils) ainsi que quelques caciques du régime qui vaquent toujours en liberté dans leurs résidences dorées de Charm-el-Cheikh comme Fathy Sourour, ou l’ex-chef des services de renseignements Safwat el-Charif. Ce sont leurs portraits qui s’affichent sur le calicot ci-dessus et le slogan « le peuple veut le jugement de Mubarak » a traversé la place toute la journée (video). Jusqu’à tard hier soir, en tout cas après 21h, les gens sont venus en famille soutenir ce nouvel élan.

Sauver la révolution signifie aussi refuser le projet de décret visant à criminaliser les manifestations, les rassemblements, et les gréves, projet dont il est vivement question depuis la clôture du référendum. Cela signifie ne pas oublier les centaines de jeunes qui ont fait le sacrifice de leur vie pour la liberté, comme le rappelle cet homme qui brandit le portrait de son fils (video).

Le référendum qui a vu une majorité écrasante (77%) d’égyptiens se prononcer pour les amendements à la constitution, est lui aussi source d’inquiétudes, même s’il a été, malgré tout, un grand moment de démocratie. Le mouvement du 25 janvier, associé à l’ensemble des partis d’opposition, peine visiblement à rassembler une large base. Si on peut comprendre que les vieux partis soient discrédités par les années de compromis avec la dictature, c’est surtout le manque d’organisation qui handicape les différents partis et mouvements de jeunes nés au lendemain de la révolution. En face, la machine des Frères musulmans, parfaitement huilée et dont le réseau pénètre les quartiers les plus populaires, s’était entièrement mise au service d’un oui au maintien de l’article 2 de l’ancienne constitution qui affirme que « l’islam est la religion de l’état et que les principes de la loi islamique sont la source de sa législation ». « Si tu es chrétien tu votes non » disaient-ils en substance aux électeurs, « sinon tu votes oui ». Quand ce n’était pas le lamentable « Vote oui pour aller au paradis » qui servait d’argument. Au lendemain du suffrage un vif débat, repris par la presse, a porté sur la nécessité de séparer le politique et le religieux, ce qui en soi est une belle avancée.

Depuis, le Conseil Suprême des Forces Armées a publié, mardi dernier, une curieuse « déclaration constitutionnelle » rappelant cet article 2, mais aussi interdisant « toute discrimination en fonction du sexe, de l’origine, de la langue, de la religion, ou des convictions » et affirmant « la liberté de la presse, et de publication ». La parution d’une telle déclaration, alors même que la constitution vient d’être modifiée par la volonté populaire, semble trahir  quelques tiraillements à la tête de ce CSFA. En effet dans le même temps, les tribunaux militaires ont continué de juger des civils pour leur participation à des manifestations, comme le dénonce cette banderole.

Sauver la révolution

Pour en revenir à cette manifestation et à toutes celles qui ont eu lieu dans différentes villes d’Egypte, elle est peut-être le signe d’une prise de conscience qui n’était pas évidente ici. La révolution n’est pas finie, c’est un long processus dont il faut défendre les acquis et pour lequel il faut maintenir une mobilisation constructive. C’est ce que clamaient les innombrables (mais petits) rassemblements de ces dernières semaines, comme celui de dimanche dernier à l’initiative de journalistes, artistes et intellectuels devant le conseil des ministres (video). Cette prise de conscience commence à sortir du cercle restreint des intellectuels dans lequel elle avait été enfermée. Travaillée par les dirigeants de l’armée et les Frères, l’idée que les manifestations doivent s’arrêter pour que le pays reprenne une vie normale, notamment sur le plan économique, s’est largement répandue, y compris parmi les jeunes, tout au long du mois de mars.

Ce vendredi, si aucun dirigeant des Frères n’était présent, des jeunes et des familles de l’organisation avaient répondu à l’appel. Après avoir clamé le fameux « Chrétiens, musulmans, une seule main », la foule a entonné d’une seule voix ce magnifique « bismillah », chant traditionnel (certes à connotation religieuse), dans la joie et l’espoir retrouvé (video). Un grand moment.

5 commentaires leave one →
  1. Louise permalink
    3 avril 2011 20:48

    Merci beaucoup de nous donner à lire, voir et entendre l’atmosphère du Caire.

    Hélas nous n’entendons pas » le magnifique « bismillah » », vous avez mis deux fois la même video : majlis el-wizara .

    Je reviendrai pour l’entendre

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  2. 3 avril 2011 10:10

    Merci à nouveau pour vos billets qui, entre autre, nous restitue ce que disent les gens en arabe.
    Question : est-ce que l’énoncé « Chrétiens, musulmans, une seule main » renverrait implicitement au proverbe arabe : « Main seule n’applaudit pas »? Je ne sais d’ailleurs trop comment parce qu’on aurait pu alors dire tout au contraire que chrétiens et musulmans constituent les deux mains applaudissant la chute de Moubarak… Bref, l’idée d’une seule main sonne un peu étrange et suggère la question : qu’en est-il alors de l’autre main?
    Ces remarques ont-elles selon vous un sens?

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    • snony permalink*
      4 avril 2011 8:58

      Une seule main est une litote pour dire « ne forment qu’une seule main » ou « ne font qu’un », donc le même sens que « main seule n’applaudit pas », celui de la nécessité de coopérer.
      Je traduisais dans mes autres posts « iyd wahda » par « tous unis », parce qu’il me semble que dans des manifs françaises où l’unité est réalisée après des années de scission (syndicale par exemple), c’est le slogan que l’on entendrait…

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  3. 2 avril 2011 18:46

    Merci pour ces nouvelles. Bon WE 🙂

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