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La révolution n’a pas la gueule de bois, d’ailleurs ce n’était pas une « cuite »

27 juin 2011

Merci à l’amie qui m’a suggéré ce titre, elle se reconnaîtra. Merci aussi à Richard Jacquemond, alias khawaga, d’avoir signalé en commentaire de mon précédent post, cette excellente série d’émissions de Joseph Confavreux et Jean-Philippe Navarre, sur France Culture : L’Égypte, la révolution au quotidien, et Police de Mubarak, anatomie d’une peur que l’on peut encore podcaster sur le site (éviter d’écouter la deuxième avant de s’endormir). Un véritable travail d’investigation qui essaye de lire, au-delà des analyses prédigérées, les mille et une facettes de la réalité égyptienne et les espoirs qu’elle porte. Un travail engagé qui ne se contente pas de nourrir les idées reçues d’une rédaction.

Avant de prendre mes quartiers d’été, je range quelques photos prises « au téléphone » durant ces deux dernières semaines. Petits détails de la rue au jour le jour, événements de la vie d’un quartier, petits signes d’une autre histoire en train de s’écrire. Je les livre en vrac.

Le transformateur électrique sur la première photo ci-dessus se trouve dans une ruelle près de Talaat Harb qui a été en travaux durant des mois et qui s’est transformée en dépotoir. Une petite affiche de confection artisanale y a été scotchée :  « Merci au gouvernorat pour le nettoyage ! ». Une expression directe et spontanée qui en outre, reçoit manifestement toute la bienveillance du quartier, forces de l’ordre y compris, puisqu’elle a résisté plusieurs jours à l’arrachage.

De même quelques rues plus loin, en fait à 100m de là, des affiches annoncent sur chaque pied de réverbère le vernissage d’une exposition de sculptures d’Alaa Abdel Hameed. Le titre de l’exposition qui s’affiche en rouge est « La solution, c’est la solution » (al-hal, huwa al-hal). Il s’agit bien sûr, d’un pied de nez au slogan de la confrérie des Frères musulmans (« L’islam, c’est la solution »). Voilà près de trois semaines  que les poteaux exposent une royale insolence envers ce qu’on nous décrit comme « l’État dans l’État ». Il ne s’est pas trouvé un « commissaire » pour arracher cet affront.

Sur cette photo, prise dans le même quartier, il s’agit d’une célébration. C’était le 10 juin dernier, annoncé par une « invite facebook », un rassemblement qui s’est avéré totalement improvisé pour célébrer Sheikh Imam (décédé le 6 juin 1995). Annoncé pour 19h, il ne démarrera véritablement que vers 20h. Rue Mohamed Bassiouny, devant l’immeuble « Mérit », on sort quelques amplis, raccordés à une méchante table de mixage, et on diffuse avec force décibels des enregistrements du poète disparu. La sono lâche, il y a manifestement un faux contact, personne ne désarme et la foule qui petit à petit s’est rassemblée poursuit la chanson a capella (video).  Des jeunes s’arrêtent, étonnés de voir tous ces « vieux » cinquantenaires en train de chanter. Bientôt deux joueurs de oud viennent soutenir l’attroupement qui atteint plusieurs centaines de personnes.

Pour tous ceux qui sont ici et chantent leur joie de vivre libres, il ne fait aucun doute que l’insoumission de ce poète, musicien, chanteur a irrigué en profondeur la révolution égyptienne. L’ hommage de ce soir est à la résistance de celui qui a permis à toute une génération d’espérer. Quelques slogans lancés entre les chansons le rappellent. Les lecteurs qui ne connaissent pas encore le chanteur à lunettes noires peuvent l’écouter ici chanter Yamma avec Ahmed Fouad Negm, son complice de toujours ; les paroles sont traduites en français au début.

Il est aussi question d’insoumission sur ces panneaux aux couleurs de l’Egypte (et de la révolution).  « Ne me prends pas pour un idiot » dit l’affiche noire, « Ne cherche pas à me faire taire » dit la rouge. Elles ont fleuri depuis deux jours sur les murs du centre ville. Elles déclinent cette volonté de poursuivre la révolution entamée que pas une confrérie, pas un tank, ni même leur association n’arrivent à faire taire.

Une volonté que les plus exclus gardent chevillée au corps. Le vendredi 17 juin pour lequel aucun rassemblement n’était annoncé sur Tahrir, les handicapés en ont profité pour se donner rendez-vous, en fauteuil ou portés par des amis, sur la place qui leur était du coup entièrement dédiée. Hassan brandit ici, avec ses mains qui ont chacune deux doigts, sa pancarte qui réclame justice et liberté et interroge « où sont les droits des 5% ? ». Une loi de l’ancien régime avait prétendu en 2010 défendre les droits des handicapés en « imposant » aux entreprises de plus de 100 salariés l’embauche de salariés handicapés à hauteur de 5% du personnel. Cette loi n’a bien sûr jamais été appliquée, précise Hassan qui travaille dans l’entreprise de Ez, le magna du fer à béton, (ancien secrétaire du PND et actuellement sous les verrous). Il manifestait d’ailleurs déjà au printemps 2010 devant le parlement pour la dénoncer : « cette loi a permis que nous ayons un statut particulier. Du coup je travaille pour un salaire mensuel de 157 L.E. quand ceux qui sont au même poste que moi gagnent près de 1000 L.E. pour le même travail ». Je suis étonnée du salaire de ses collègues (le SMIG vient d’être « revalorisé » à 700 L.E. soit un peu moins de 100 €), mais Hassan est sûr du sien dont il répète le montant en détachant les syllabes « mi-ya-sa-ba’-wa-kham-syn » soit à peine 20 €.

Ils ont du pain sur la planche ces chabab masr, ces jeunes d’Egypte, pour réussir tous ces changements, et, pour en revenir à l’introduction de ce papier, ils n’ont que faire des fées Carabosse qui se penchent avec condescendance sur le berceau de leurs espoirs, même au nom de la neutralité (celle qui les autorise à parler de « gueule de bois » pour décrire la situation actuelle). John Reed, observateur engagé d’une autre révolution, écrivait en 1919 à la fin de l’introduction de Dix jours qui ébranlèrent le monde : « In the struggle my sympathies were not neutral. But in telling the story of those great days I have tried to see events with the eye of a conscientious reporter, interested in setting down the truth. »

S’il y a peu de « John Reed » aujourd’hui du côté du soleil couchant, l’Egypte ne manque pas d’énergies pour écrire son histoire. Avant de proposer à mes lecteurs rendez-vous à la rentrée, je voudrais signaler trois numéros exceptionnels (et « collector ») de l’excellente revue « Wajihât nazar » que l’on trouve comme d’habitude à la librairie Al-Shuruq (place Talaat Harb), sur quelques trottoirs du Caire, mais aussi dans pratiquement tous les pays arabes et d’Europe (renseignements par email). La livraison groupée de février-mars-avril contient 1/ Un numéro comportant des analyses approfondies de la situation « L’Égypte change (Masr tataghayyar) », 2/ Un numéro tourné vers l’ensemble des pays arabes « Le temps de la colère arabe » (ci-contre), sous-titré « This is NOT a Facebook Revolution », 3/ un éphéméride des dix-huit jours de soulèvement (khamsa wa-ashryn yanâyr, yawmiyât thawra) illustré de splendides photos et des Unes de quelques quotidiens.

Bonnes lectures et bonnes vacances à ceux qui en ont, bon courage aux autres !

8 commentaires leave one →
  1. 13 août 2011 20:14

    Bonjour,
    Pour information (et le plaisir de découvrir votre blog), je vous cite sur le mien, très humblement : http://djehaarabe.blogspot.com/

    Djeha.

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  2. kamelina permalink
    8 juillet 2011 22:15

    merci pour la réponse!

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  3. 7 juillet 2011 14:08

    @ kamelina :c’est le retour des brigades anti_émeutes et des policiers de noir vètus,que beaucoup d’égyptiens appellent cafard et dont beaucoup ont du sang de révolutionnaires sur les mains

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  4. 1 juillet 2011 23:10

    tu es partie trop tot ,il s’en passe de bonnes depuis mardi soir !ça fait drole le retour des cafards aux coins des rues ,franchement je préferais les chars de l’armée !
    passe de bonnes vacances quand mème!

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    • kamelina permalink
      4 juillet 2011 11:44

      tu es partie trop tot ,il s’en passe de bonnes depuis mardi soir !ça fait drole le retour des cafards aux coins des rues ,franchement je préferais les chars de l’armée !
      passe de bonnes vacances quand mème!

      Qui sont les cafards…..?

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  5. 30 juin 2011 13:10

    Bonnes vacances, et revenez-nous vite 😉
    Frédéric.

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  6. ggrun permalink
    27 juin 2011 16:56

    Merci encore pour ce papier si vivant
    Bonnes vacances
    A bientôt de te lire
    GG

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  7. Simobar permalink
    27 juin 2011 14:31

    Bonnes vacances à vous aussi et merci beaucoup pour vos chroniques! Au plaisir de vous lire à nouveau à votre retour, Christine

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