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Impressions d’Egypte

25 juillet 2014

Tristes, les visages dans le métro. Nous sommes en plein Ramadan, habituellement un moment de fête et de partage, et les égyptiens aiment partager. Mais le coeur n’y est pas. Les hausses de prix annoncées ce mois-ci y sont sans doute pour quelque chose. L’électricité, les carburants, de façon officielle, mais aussi les fruits, les légumes la viande, les loyers dont les prix explosent.

Le GPL utilisé par les taxis vient de prendre 175% d’augmentation, l’essence 80%, le diesel 65%. Du coup le  secteur des transports a été autorisé à augmenter les tarifs de … 10%. De nombreux chauffeurs de microbus ont augmenté, eux, leurs tarifs de 100%, prenant le risque de contrôles policiers brutaux. On assiste souvent à des rixes dans les stations de microbus. Finalement pourrait-on dire, le métro avec son ticket maintenu à 1 L.E. est un havre. Mais avec trois lignes à leur disposition, rares sont les cairottes qui n’utilisent que ce moyen de transport et la vie quotidienne est encore plus compliquée. Sans compter que la station Tahrir, carrefour  de deux lignes, est toujours fermée pour cause le « lutte contre le terrorisme ».

On parle aussi de mettre en place « un nouveau système » de subvention alimentaire, basé sur l’utilisation de cartes à puces, qui maintiendrait la galette de pain, alimentation de base de millions d’égyptiens, à 5 pts pour les plus démunis. La réorganisation de la politique de subvention est présentée comme une modernisation et une amélioration. Ce n’est que la mise en oeuvre de la feuille de route du FMI, et la distribution de cartes à puce dans un pays qui ne parvient pas à recenser ses propres habitants semble une gageure !

Et puis il y a cette drôle d’atmosphère qui s’est installée dans l’espace public. Tout le monde vous le dira, on se sent davantage en sécurité. Les policiers sont revenus en ville… Tout le monde sauf ceux qui eux sont en prison, ou les jeunes qui ont été arrêtés sans même savoir pourquoi. Et ils sont des milliers, condamnés pour une simple participation à une manifestation, parfois pour avoir seulement croisé la route d’un groupe de policiers. Je réside près du commissariat Qasr el-Nil et personne ne s’en approche. Les récits d’arrestations abusives se font à voix basse, les taxis font un détour.

كعقVendredi je remonte la rue Qasr el-Ayny, la grande avenue qui passe devant majliss el-chaab et qui fut longtemps barrée par des moellons empilés. Aujourd’hui, ce sont des énormes morceaux de béton qui sont alignés devant l’Assemblée nationale et obligent le passant à marcher sur cette artère très passante. La photo ci-contre me vaudra une demi-heure de palabres avec deux mukhabarât en civil et un policier. « On vous a vue, vous avez pris une photo. Pourquoi faire ? Que faîtes-vous ici ? » On attend le grand chef appelé en renfort. J’ai beau faire la touriste idiote et expliquer en anglais que je ne savais pas que c’est interdit de prendre des photos en Egypte, cela ne prend pas. Il s’agit de m’intimider, comme les égyptiens qui maintenant, craignent de passer sur la place Tahrir s’ils n’ont pas une procédure en cours au mogamma, le bâtiment administratif qui trône sur la place. Ils risquent une arrestation, des coups, et parfois pire.

Un peu agacée, j’arrive rue Mohamed Mahmoud, celle où se sont déroulés les combats hichamsi violents de novembre 2011. Les magnifiques fresques ont été en partie détruites et recouvertes par de nouvelles, de moins grande qualité. Deux jeunes sont en train de peindre un visage. Je leur demande qui est le personnage. C’est Hicham Rizq, me disent-ils, un jeune communiste et graphiste qui a beaucoup peint sur ces murs. Il est mort il y a trois semaines. Mort de quoi ? Retrouvé dans le Nil. Pourquoi ? Difficile à dire, il avait objectivement deux ennemis me répond l’un d’entre eux : les flics et les islamistes. Et comment se fait-il que vous puissiez peindre sans être ennuyés ? Nous on sait pas, mais un touriste libanais qui vient de discuter avec nous et de prendre des photos s’est fait interroger par la police. Décidément, il ne fait pas bon être touriste et photographier autre chose que des pyramides.

Je rencontre un ami qui sort de la prière hebdomadaire. Il rage. Tous les imams avaient l’interdiction d’évoquer Gaza dans les prêches. C’est comme ça dans l’Egypte de Sissi. Le pouvoir se vante même de son « initiative de paix », dont tout le monde sait aujourd’hui PALqu’elle était entièrement écrite par Israël. L’armée annonce une expédition anti-tunnels et convoque des conférences de presse dignes des grandes heures de Mubarak. La presse, qui a tenté une grève en avril pour s’opposer aux arrestations, semble aujourd’hui muselée, mais Gaza est présente dans tous les journaux, malgré les positions officielles et les égyptiens n’abandonnent pas la Palestine, comme en témoigne ces banderoles devant le syndicat des médecins.

Le soir, sur France 24, j’entends parler de l’attentat dans l’oasis de Farafra. La journaliste précise qu’une vingtaine de soldats égyptiens ont été tués, mais qu’on ne sait encore rien des circonstances et encore moins des auteurs. Puis elle ajoute « Les militants ont utilisé un véhicule 4×4.. ». La rhétorique de Sissi contamine donc même les journalistes français. On ne sait rien mais on les appelle « militants ». Pendant ce temps sur les chaines égyptiennes se déchaine un discours nationaliste contre les ennemis intérieurs de l’Egypte.

Peu de voix de démocrates s’élèvent pour protester contre les procès expéditifs, les arrestations, la torture. D’abord parce que de nombreux militants sont sous les verrous, ou condamnés aux travaux forcés comme Alaa Abd el-Fatah. De nombreux autres se sentent menacés. Et puis il y a ceux qui ont leur billet d’entrée dans les médias occidentaux, et qui s’en servent pour expliquer que le gauchiste occidental n’a rien compris à la réalité égyptienne. Ceux qui vous démontrent que la dictature est un passage obligé et passent le processus démocratique enclenché par la révolution du 25 janvier par pertes et profits. Si le sort des condamnés à mort (par paquets de 500) ne les émeut pas davantage aujourd’hui, il faut leur reconnaître une certaine cohérence.

L’avenir des égyptiens est-il aussi noir que celui de ces moutons à la veille de l’aïd ?

moutonsSûrement pas, l’histoire n’est pas écrite. « Vous aussi, juste après votre révolution, vous êtes revenus en arrière », me dit un ami qui essaye de garder espoir. Et puis il n’y a jamais eu autant de conflits sociaux que cet hiver en Egypte, malgré les interdits de grève et de rassemblement. L’Egypte est un grand pays, et on aurait tord de prendre les égyptiens pour des moutons.

 

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