Plus personne n’habite là
« Félicitations à tous ! Nous en avons fini avec les Frères ! Félicitations » C’est ainsi que débute le papier de Bassem Youssef paru le 16 juillet dernier dans le quotidien al-Shourouk. Cet ex-chirurgien cardiaque, devenu non seulement humoriste mais aussi pédagogue hors pair pour des millions d’égyptiens (voir ce papier de YGQ) y prend la plume pour exprimer sa lecture au vitriol de la situation en Egypte. Beaucoup moins drôle que ses sketchs habituels, ce papier n’en est pas moins pertinent. Voilà pourquoi je le traduis en entier.
« Enfin, nous allons avoir une Egypte sans les Frères et, si Dieu le veut, nous serons aussi débarrassés des salafistes. Dans peu de jours, tous les Frères rejoindront la prison, et l’Egypte redeviendra celle des Égyptiens agréables à regarder, propres, sans barbe ni niqab. Celle des Égyptiens que l’on voit dans les publicités et les séries télévisées. Enfin, l’Egypte sera libre et libérale ! Sans les Frères, sans salafistes, sans terroristes, mon cheikh …. Oui… Tu dis quoi ? Il y a des Frères qui ont été tués devant la Garde républicaine ? D’accord mais que faisaient-ils là-bas ? Et cela ne te réjouit pas ? Tu ne serais pas en train de les soutenir ? En fait, tu es de leur côté ! Tu es contre l’armée et la patrie, et tu es un terroriste à mi-temps !
« Non, j’ai soutenu ce qui s’est passé le 30 juin, et j’ai bien vu que Morsy ne pouvait pas assurer ses fonctions mais cela ne veut pas dire que je ne vais pas exiger une enquête sur les événements devant la Garde républicaine. J’aimerais aussi savoir jusqu’à quand leurs chaînes vont être fermées. Et je trouve les propos des chaînes privées partisans et discriminatoires. »
« Non, non. Garde tes droits de l’homme pour toi ! Ils ne s’appliquent pas à ceux-là. Il faut purger notre pays de ces gens-là ! »
« Ce qui précède, cher lecteur », enchaîne B Youssef, « est l’expression de la situation dans laquelle sont la plupart de ceux qui vivent cette « victoire écrasante » sur les Frères, ou plutôt qui se l’imaginent. Il n’y a pas de différence entre l’orientation fasciste de ces gens-là et l’orientation islamiste de ceux qui estiment que ta disparition de la planète serait une victoire pour la religion. « Mais nous, ce n’est pas pareil ! » « Ce que nous voulons, c’est la victoire de la patrie ! » Malgré leurs valeurs libérales et leurs discours sur la liberté, les derniers ne sont pas très différents de Khaled Adbullah (un imam radical) dont une des expressions favorites était : « Que le Seigneur nous dispense de vous et de vos semblables (les libéraux)! ».
Je ne fais pas confiance aux Frères et je ne les crois pas. D’expérience, nous savons qu’eux-mêmes ne respectent pas leur parole, qu’ils mentent, qu’ils mentent sans cesse tant que cela peut servir leur projet politique, et qu’ils sont les champions de la manipulation de la religion tant que cela sert à justifier leur politique. Les Frères et les salafistes étaient devant l’Assemblée nationale pour soutenir Moustafa Bakry lorsque celui-ci accusait ElBaradey de trahison.
Les Frères et les salafistes se tenaient aux côtés de la Sécurité intérieure et ont demandé que l’on tue ceux qui s’approchaient d’eux. Ils ont dit des manifestants sur Tahrir qu’ils étaient des voyous, des espions, des homosexuels et des drogués. Les islamistes ont été les premiers à estimer qu’attaquer l’armée c’était attaquer la nation. Ils ont trahi les coptes et ignoré leurs morts devant Maspéro, les ont accusés de trahison de de conspiration avec l’étranger. Puis les représentants des Frères sont allés à Washington, et devant les medias américains « mécréants et anti-islam ». Ils se sont réjouis de la rumeur selon laquelle des cuirassés américains faisaient route vers l’Egypte ; et ils ont accroché des pancartes en anglais sur la scène à Raba’a.
El-Baltagy a dit que les opérations terroristes dans le Sinaï s’arrêteraient instantanément dès que Morsy prendrait le pouvoir. Ce qui veut dire qu’un dirigeant des Frères a reconnu que le Président déchu dépend des terroristes pour consolider son pouvoir.
Oui, les Frères ont fait tout cela et même davantage. Voilà pourquoi Morsy méritait d’être contesté par les gens, et pourquoi son organisation méritait la haine et l’aversion de tout le monde. Voilà pourquoi aussi les dirigeants des Frères méritent que l’on enquête sur leurs incitations à la violence et leurs relations internationales secrètes. Mais pour tout cela, la méthode politique du droit pénal doit suivre son cours.
Et tu as devant toi une situation humaine. Des vies ont été perdues, que les gens soient issus des Frères, de l’armée, ou des simples civils chaque jour durant l’occupation de la place Raba’a. Tu as des citoyens qui sont persuadés que s’ils quittent le rassemblement, ils seront tués ou emprisonnés. Ceux-là ne vont pas disparaître. S’ils quittent la place Raba’a ils retourneront dans leurs maisons pleins de haine, de frustration, et de rancoeur. Ceci va empirer en Haute-Egypte, et sera ignoré dans le Delta. Mais cela reviendra sous une autre forme, avec davantage de violence.
Cette « victoire écrasante », et cette arrogance que nous voyons maintenant dans les medias privés, c’est ce qui a mis fin à l’influence des Frères et a retourné leur popularité. Et nous faisons maintenant la même erreur, comme si nous avions une mémoire de poisson.
Je pourrais écrire des volumes entiers sur la bêtise des Frères, leur corruption de la religion comme de la politique, mais ceci est un autre combat qui nécessite d’autres instruments. Nous sommes en train de perdre ce combat avant de l’avoir commencé. Ceux qui en appellent à la liberté et dénoncent les méthodes fascistes et discriminatoires des Frères contribuent aujourd’hui au retour de la sympathie à leur égard, et trahissent les principes de liberté dont ils se réclament. Nous retournons à l’atmosphère des années 90 où nous avons installé la « solution sécuritaire » et la manipulation des médias, laissant courir un incendie qui enfle l’extrémisme jour après jour. Oui, fermer les chaînes (islamistes) était une étape délicate mais je dis : laissons-les tranquilles et laissons-les parler car c’est ce qui leur a valu la haine et l’aversion. Ne leur donnons pas une chance d’endosser le rôle de la victime. De quoi avons-nous peur ? De leur rhétorique discriminatoire ? De leur bêtise politique éhontée ?
Mon cher libéral anti-Frères, il y a quelques semaines tu gémissais des plaintes désespérées sur la noirceur de la situation et maintenant, alors que tu as renversé la douleur, tu reproduis le même fascisme et la même discrimination ! Tu peux me dire qu’ils le méritent, qu’ils ont soutenu les forces (de sécurité) et les ont utilisées contre toi, qu’ils ont menti et pratiqué la corruption, qu’ils ont propagé des rumeurs de trahison et de blasphème. Mais est-ce vraiment ton argument ? Est-ce que tu t’appropries leur style décadent au lieu de respecter les principes que tu as tant rappelés ? Eux ont perdu leurs valeurs morales depuis un temps lointain, mais est-ce que tu veux prendre cela pour exemple ?
Ne vois-tu pas que l’incitation à la violence contre les palestiniens et les syriens n’est pas différente de l’incitation à la violence contre les chiites, les baha’is, les chrétiens ou contre les musulmans qui s’opposaient aux Frères et aux salafistes ? Nous avons remplacé l’épouvantail « ennemi du projet islamique » par l’épouvantail « ennemi et traitre à la nation ».
Traduis les dirigeants des Frères devant la justice, mène l’enquête sur les événements de la Garde républicaine, travaille à établir les principes de justice, que les victimes soient dans ton camp ou dans l’autre. Exige un cadre clair pour le fonctionnement des partis politiques pour que les discours discriminatoires et extrémistes ne puissent plus se répandre. Oui, les dirigeants des Frères doivent être jugés comme l’ont été les dirigeants du PND dans les cas où existent des preuves et dans le cadre de la loi. Mais n’oublie pas que tu ne peux pas effacer des milliers de vies. Tu ne peux pas arrêter ces milliers de gens, leurs familles et leurs enfants, et tu ne pourras pas les empêcher de gagner une élection syndicale. Tout ce que tu fais maintenant consiste à reproduire les erreurs du passé. Mais tu ne fais que reporter l’explosion à ton visage ou à celui de tes enfants ou petits enfants.
Bravo à ceux qui n’ont pas permis à cette « victoire écrasante » de leur faire oublier leur humanité. Ces quelques marginaux, isolés de tout le monde. Ceux-là ne sont les bienvenus dans aucun des deux camps car ils ne cèdent pas au courant de la haine.
L’humanité est maintenant une île isolée entre les vagues de la discrimination et de l’extrémisme, sur laquelle vivent quelques intouchables. Leurs voix se perdent au milieu d’appels à la vengeance et au meurtre. Il ne semble pas que l’on puisse espérer une augmentation de la population sur cette île dans un avenir proche. Mais peut-être dans un avenir plus lointain les gens commenceront à émigrer vers elle et essaieront de connaître la créature qui est une part de nous-mêmes et que nous appelons tous « humanité ».
Ce que je crains le plus c’est qu’il arrive un moment où, en passant près de cette île, nous frappions nos mains en nous exclamant : « Quel dommage, plus personne n’habite là ! ». »
PS : Pour suivre Bassem Youssef sur Tweeter @DrBassemYoussef
Merci pour cette traduction, une intervention de Bassem Youssef si salutaire pour espérer que peut-être enfin l’Egypte prenne le bon chemin !
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c’est quoi le délire après ? Les gens qui trouvent ce texte infamant, pathétique, démagogique et l’analyse politique qui est faite complètement déconnectée de la réalité sont des extrémistes ? ou des demi-extrémistes ?
pffffffffffffffffffff on fait l’apologie de la connerie et on s’étonne de la monté des extrêmes…
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Quand il parle de la reproduction du fascisme (la victime devient bourreau) cela rappelle,en 40/45, ces Juifs qui se mettaient avec les nazis contre les leurs(dans les camps de concentration).On les appelait des Kapos.
Bassem Youssef a complètement raison ainsi que pour la totalité de son texte.
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Oui, on ne peut pas ignorer et effacer une partie de la population, comme on ne peut pas effacer une partie de l’humanité. Et pouvoir dire : « Tout le monde peut habiter là ».
Claire
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