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Un souffle de liberté

1 janvier 2012

La place Tahrir a fêté hier soir sa première nouvelle année. La video de la nuit, en lien ici, s’ouvre sur le cri d’espoir : « pain, liberté, justice sociale ».

Parce qu’il n’y a rien de moins urgent que de conclure une telle année, je me garderai bien de céder à l’exercice convenu des « leçons de 2011 ».

Parce qu’il n’y a rien de plus important que d’amplifier l’immense espoir qui s’est levé dans cette région du monde, je propose à mes lecteurs ce beau poème de Mohamed Zanaty, auteur dont j’ai déjà mentionné les chansons et les compositions depuis le début de la révolution. Il a pour titre « Combien coûte le souffle de la liberté ? » (nafas el-hurryya bi-kem ?).

Le court-métrage ci-dessous a mis en image ce poème. Il a été réalisé par Raphaelle Ayach et a été sélectionné au 27e festival international du cinéma de la Méditerranée à Alexandrie, qui a eu lieu du 5 au 9 octobre dernier.

Le texte arabe de ce poème est en ligne sur ma page « textes arabes« . Voici la traduction que j’en propose.

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

En partant de la droite, écrivons ensemble la date : mardi 25 janvier 2011

Écrivez le titre au milieu de la ligne, d’une écriture pouvant contenir l’Univers : Révolution

La leçon commence, ouvrez les cahiers

Quelques jeunes, tendres comme de verts rameaux, aspiraient à la lumière

Ils l’appelèrent de toutes leurs voix et le silence en fut ébranlé

Sous leurs pas, s’est soulevée la poussière de la nation

Ce pays qui leur avait tant manqué embrassait leurs pieds et leur donnait l’accolade,

Alors, pendant qu’augmentait le martèlement des pas, le sol de la patrie s’est écrié

« Où étiez-vous pendant toutes ces années, enfants prodiges ? »

La réponse vint des rues d’Imbaba, des cachots des prisons,

De l’Horloge de l’Université, des ruelles des quartiers de la Sayeda,

De Dar el-Salam et de la Citadelle, et de chaque parcelle de notre terre :

Nous sommes là désormais, nous voici aujourd’hui.

Ô patrie, ouvre-nous tes bras et laisse nous enseigner au monde

Ce qu’est une parole d’homme, ce qu’est une révolution.

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

Un point de sang et à la ligne, la question est posée : combien coûte le souffle de la liberté ?

La réponse vous viendra du pont Qasr el Nil.

Et le sang coula du cœur d’une branche humide de rosée,

Qui avait offert son sein aux balles brûlantes des fusils

Et qui d’une voix vibrante scandait sans mensonge ni falsification

‘’ Pacifique, pacifique, pacifique, pacifique’’.

Les balles jaillirent des fusils, elles visaient les cœurs

Jeunes gens, le brave est tombé et, sur l’asphalte, on a versé le musc

Notre ciel l’accueillit cette nuit-là en jeune marié, le souffle de la liberté se paye au prix du sang

Le souffle de la liberté se paye d’un jeune marié. « Maman, lance un youyou et allume les lanternes ! »

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

Des jours ont passé et nous habitons au cœur de la place. Nous n’en partirons pas.

Nous le clamons autant de fois qu’il y a d’étoiles dans le ciel,

Autant de fois qu’il y a de grains de sable sur cette terre, et de rochers,

De campagnes et de déserts, de rues et de ruelles, de maisons, de toits et d’habitants

Autant de fois qu’il y a de mouchoirs d’adieu,

Ces mouchoirs avec lesquels nous saluons nos êtres chers

Lorsqu’ils partent à l’hôpital, en prison ou sur une embarcation,

Autant que les gémissements qui accompagnent la délivrance de nos enfants à naître.

Nous n’en partirons pas. « C’est lui qui partira, pas nous, c’est lui qui ne comprend pas ! »

Amenez les chars et les mercenaires, apportez les missiles et les canons,

Et dites ce que vous voulez : les gens ne vous croiront pas.

Car ce qu’ils comprennent, vous ne le comprenez pas,

Il y a si longtemps que nous n’avons pu garder la tête haute

Sentir que nous sommes des êtres humains, capables d’aimer,

Et voir dans nos yeux se refléter la flamme et le souffle oubliés.

Les gens nous montrent du doigt et disent : voyez, ce sont eux les Égyptiens.

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

Depuis combien d’années attendons-nous que le soleil se lève ici ?

Ici ne signifie pas l’Orient, ici signifie la place Tahrir.

Je vois le soleil se lever de la place. Ouvrez-lui le chemin

Saluez-le et ne parlez pas davantage.

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

Quelle est la différence entre le 25 janvier et un autre jour ?

C’est précisément la différence entre une personne qui serait morte

Et qui, revenant à la vie, se verrait devenir un autre être.

C’est la différence entre le goût de l’amertume et le goût de la vraie liberté

C’est l’image de la nuit chassée par l’aube et le chant des oiseaux

C’est celle d’une goutte de rosée sur la fenêtre d’une fillette rêvant du vent de printemps

C’est comme un homme mort de soif qui serait enfin désaltéré

Par le premier hourra échappé des lèvres d’une fille brune

Dont les cheveux volent de joie et dont les yeux laissent échapper

Une larme étrange disant adieu au premier martyr.

C’est la différence entre les vivants et les morts. Voyez-vous la différence ?

La leçon commence, ouvrez les cahiers.

 


Bonne année à tous, pleine de souffle, pleine de liberté !

9 commentaires leave one →
  1. Martinez permalink
    2 janvier 2012 14:38

    Merci de partager avec nous ce poème. Belle Année à vous que nous souhaitons pleine d’espoir et de courage. Amitiés. Claire

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  2. 2 janvier 2012 9:51

    Bonne année à toi ! et que le grand vent de liberté continue de souffler pour les peuples…

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  3. 2 janvier 2012 0:33

    Bonne année Sylvie. J’ai peu commenté votre blog depuis que je l’ai découvert, car j’ai plus à lire qu’à dire!… mais je suis bien toujours parmi vos lecteurs assidus. Et j’encourage les miens à consulter votre blog… Bonnes vacances en France et bon retour,
    Frédéric.

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    • snony permalink*
      2 janvier 2012 11:42

      Bonne année à vous aussi et bravo pour le dernier papier sur les femmes égyptiennes !

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  4. ggrun permalink
    1 janvier 2012 22:41

    Merci encore
    et vraiment mes voeux les plus sincères pour que tu continues à vivre et à nous faire partager l’espoir du peuple égyptien à la conquète de sa dignité.
    GG

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  5. ygq permalink
    1 janvier 2012 21:25

    Merci Snony ! C’est bien pour commencer l’année ! Amitiés

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  6. 1 janvier 2012 21:04

    Un petit instant de bonheur hier soir, j’y étais aussi ,on aurait pu se croiser ! Dommage ! Bonne année !

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    • snony permalink*
      1 janvier 2012 21:27

      Je n’y étais pas : je suis encore en France. Mais j’ai suivi sur le net. Bises et bonne année.

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  7. henriplande permalink
    1 janvier 2012 20:57

    Merci pour la traduction et le partage du beau poème de Mohamed ZANATY.

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