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Jour 8

1 février 2011

C’était le pari de la journée rebaptisée « journée des millions » : atteindre un record de participation. Impossible de donner une évaluation sérieuse du nombre de manifestants dans le centre ville. Il s’écrit sans aucun doute en centaines de milliers mais je n’ai pas les moyens d’en dire plus. Pour tous les égyptiens présents, cette journée est un immense succès.

Dès 9h00 sur la place, on nous annonce le chiffre de 200 000 et l’ambiance est déjà au top. Le slogan de cette video « C’est lui qui partira, nous on ne part pas ! » sera repris toute la journée.

Les gens arrivent par flots continus depuis le pont sur le Nil et surtout depuis le Nord de la place. Le gouvernement a eu beau arrêter les trains, ils sont venus en microbus, en voiture, ou en pickup depuis les lointaines banlieues pauvres voire depuis le delta, Mansoura, etc… La manifestation est très bon enfant. Les gens sont heureux et le spectre de la violence des premiers jours semble s’éloigner, même si certains continuent d’organiser leurs comités de quartier et de préparer les tours de rôle pour la soirée. Très vite la foule devient si dense que l’on ne peut plus avancer et que tourner une simple video devient un véritable exercice de contorsion.

Preuve que cette révolution est d’abord une fantastique prise de parole d’un peuple muselé jusque là par la dictature, quelques personnes ont eu l’initiative de créer ce matin le « Mathaf al-thaura » (Musée de la Révolution) en rassemblant les écrits laissés par les manifestants de la veille : feuilles de papier, cartons griffonnés, mais aussi panneaux illustrés plus élaborés. C’est toute une histoire vivante en train de s’écrire qui se déroule sur une bonne dizaine de mètres. Les gens sont invités à poser leur contribution, ou même à la fabriquer en direct. Ils contemplent ensuite leurs œuvres, et sont comme médusés de se voir prendre la parole (video). Ce musée éphémère ne résistera malheureusement pas à l’augmentation de la densité en milieu de journée. Mais il n’avait peut-être pas vocation à figer les choses dans le marbre car les égyptiens ne vont pas arrêter de s’exprimer, en tout cas c’est tout le mal qu’on leur souhaite.

A côté, des jeunes entonnent un chant traditionnel repris bientôt par toute la foule, tous âges confondus. On danse et on chante parce que la vie reprend ses droits et qu’ici, vivre c’est  danser et chanter. (video).

On me raconte une nouvelle blague (les égyptiens en sont très friands, voir cet ancien post) : « Mubarak est allé devant le parlement pour s’immoler par le feu : il réclamait que l’on change le peuple ».

La journée va se poursuivre dans une ambiance de fête mais aussi de discussions sur les solutions à venir, de commentaires sur les perspectives annoncées par la presse du matin d’un gouvernement d’union nationale de transition. La perspective d’un départ de Mubarak semble à portée de main avec un tel rassemblement et on commence à croire vraiment au succès. « Si cela ne suffit pas, on sera des dizaines de millions vendredi me lance un jeune ».

La rhétorique anti-israëlienne se fait de plus en plus précise, comme sur cette affiche qui indique à Mubarak une destination possible de départ. Des slogans plus ou moins voilés reprennent l’idée en demandant à Mubarak « On veut que tu partes, tu ne comprends pas l’arabe ? », ce qu’une autre affiche écrite en hébreux et en arabe formule ainsi : « Tu ne reconnais que l’hébreux (alors) dégage ! ».

Mais l’essentiel des slogans de la journée porte sur la fin de ce régime qu’une gigantesque banderole tendue en travers de la place, réclame en anglais. L’unité du peuple égyptien est déclinée sur tous les tons : « il n’y a pas de fitna entre musulmans et chrétiens mais entre le peuple et le régime ». J’apprends que la veille, musulmans et chrétiens ont organisé une prière commune sur la place.

Les drapeaux égyptiens fleurissent eux aussi tout au long de la journée et la volonté de construire une unité nationale est forte. J’ai plusieurs fois demandé pourquoi on ne voyait pas trace des partis ou des mouvements d’opposition déjà organisés dans le pays. La réponse qui m’a été faite a toujours été la même : nous sommes ici comme citoyens, pas comme des membres de tel ou tel parti.

La soirée a été marquée par l’attente d’un discours de Mubarak qui n’est parvenu que très tard. N’ayant pas la télévision, je suis descendue l’écouter dans un des petits cafés de ma rue. Je n’ai pas pu en entendre la fin : lorsque le président a évoqué les quelques milliers de fauteurs de trouble, tout le monde a compris quelle en serait la teneur. La réaction a été immédiate : bousculant tables et chaises, les jeunes sont partis vers la place Taharir en criant « A bas Mubarak ». Il était 1h du matin.

2 commentaires leave one →
  1. 2 février 2011 17:34

    Votre blog est formidable. Il nous apporte un éclairage de l’intérieur et sans équivalent. Continuez à nous transmettre la manière dont les gens du peuple vivent cet événement extraordinaire.

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  2. josiane permalink
    2 février 2011 16:18

    ben voila on s’y attendait depuis cette nuit ,les pro-moubarak sont arrivés sur la place !l’armée a laissé faire en se retirant :
    devant notre télé nous hurlons de rage !

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