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el-Gélatyn

2 décembre 2008

Quel est le rapport entre ces bouchers et tripiers qui s’activent produit-finitripiersen cette veille de l’aïd dans les rues du quartier de Saïda Zeinab et les sucreries que l’on achète partout sur les trottoirs du Caire ?

Réponse : la gélatine, el-gélatyn en égyptien.


Du Gelly (préparation pour des gelées colorées) qui est présent dans toutes les cuisines égyptiennes à la colle des menuisiers, la gélatine est une production nationale aux multiples applications : confiseries, pâtisseries, gélifiant de plats préparés, support du papier de verre…

sechoirsLorsqu’on longe l’aqueduc de Mohamed Ali  qui borde le quatier Saïda Zeinab (sur Magra al- Uyun), juste avant l’hôpital flambant neuf consacré à la lutte contre le cancer, on observe de drôles de constructions derrière l’aqueduc. C’est le quartier des tanneurs certes, mais on ne voit pas une peau dans ces immenses séchoirs qui surblombent tout le quartier Ayn as-Sira – c’est son nom. C’est que la fonction de ces grands séchoirs est tout autre.ain-as-sira

 

 

 

 

 

On rentre dans le quartier en passant sous l’aqueduc et on a tout de suite une idée de l’activité qui l’anime : les bouchers déposent là les peaux encore ensanglantées qu’ils vendent aux tanneurs.

Ces peaux sont immédiatement salées pour absorber le sang et arrêter tout pourrissement (vu les températures au Caire, il vaut mieux faire vite).

D’où ces sacs de sel qui s’entassent devant les portes des ateliers, très nombreux mais très petits. tas-de-selPersonne ne doit être en mesure d’estimer la population qui vit et travaille ici, dans ces pièces sans fenêtre. Le fait est que la chaine de fabrication necessite une sacré main d’oeuvre.salage

Les peaux sont ensuite lavées dans de grandes lessiveuses en bois qui les agitent pendant des heures avec de grandes quantités d’eau, puis en présence d’une solution d’ammonium, puis de sulfure de sodium (qu’ils nomment agza), et enfin avec de la chaux (gyr).

ammoniumfiente-pigeonsulfure-de-sodium

Ces étapes ont pour but d’épiler chimiquement les peaux, de les assouplir et de les désinfecter tout en favorisant leur gonflement. Et la gélatine dans tout ça ? Patience, elle arrive !

Pour les peaux de chameaux on ajoute un traitement à la fiente de pigeon afin de les rendre plus lisses. Le patron qui nous fait visiter évalue au coup d’œil ses dosages en fonction de l’état des peaux, et les durées de lavage en fonction de la température ambiante.

lessiveuses

Cent vingt peaux par lessiveuse, il ne s’agit pas de rater son coup.

La gélatine est le nom de cuisine d’un mélange de longues molécules de protéines (enchainements de molécules d’acides aminés), essentiellement du collagène. Lorsque vous cuisinez votre pot-au-feu de longues heures, puis que vous le laissez refroidir, la sauce se gélifie, grâce à cette gélatine qui s’est échappée des os et de certains morceaux de viande dure comme le collier. On peut aussi acheter des feuilles de gélatine dans le commerce pour faire une gelée ou un aspic, dont Hervé This a révélé tous les secrets(1).

epluchage-peauxTout le monde sait grâce à Mme Loréal que le collagène se trouve sous la peau : et bien il est là, sous les peaux de nos vaches et de nos chameaux, et il ne reste plus qu’à les éplucher pour le récupérer. Bien sûr il ne faut pas abimer le cuir et soigneusement étudier son épaisseur de coupe : copeaux-gelatine

c’est le rôle de cette éplucheuse dont le couteau cylindrique travaille à une distance réglable du cylindre de bois sur lequel on pose la peau. Le savoir-faire de l’ouvrier semble quand même décisif pour réussir à sortir de là une peau intacte d’un côté, et un tas de copeaux de collagène, de l’autre.

A partir de cette étape le sort des peaux  et celui de la gélatine se séparent. Les premières vont être traitées avec un sel de chrome qui élimine en profondeur les bactéries tout en colorant en bleu les eaux d’égout locales (dont on m’a assuré qu’elles partaient bien vers une improbable station d’épuration et pas dans le Nil à 1,5 km de là). egouts

Les copeaux de collagène eux doivent subir encore quelques transformations pour devenir gélatine. En effet le collagène est solide, d’apparence fibreuse, et insoluble dans l’eau alors que la gélatine, lorsqu’elle est humide, est beaucoup plus souple et capable « d’absorber » des quantités incroyables d’eau : avec une feuille de gélatine on peut absorber presque un litre d’eau !

C’est que parmi les acides aminés qui s’enchainent dans la molécule de collagène il y en a deux notamment (la proline et l’hydroxyproline) qui sont susceptibles de former des liaisons particulières avec les molécules d’eau (liaisons hydrogène). vapeurLorsqu’on le chauffe en présence d’eau, les fibres du collagène jusque là regroupées en triples hélices soudées les unes aux autres, se solubilisent : les molécules d’eau s’intercalent entre les protéïnes, gonflent les fibres, les séparent les unes des autres, puis les font passer en solution.

bain-de-chauxPour favoriser cette hydrolyse, -puisque c’est ainsi que les chimistes nomment cette transformation- les artisans font subir au collagène de nombreux bains avec de la chaux (le gyr de production nationale est livré en vrac aux entrées du quartier). Le collagène est brassé de longues heures dans plusieurs bains d’eau de chaux.

Puis de ces grands bacs de pierre, on le retire bien ramolli à la fourche (le verre de thé ne fait pas partie de la recette, mais c’est le carburant essentiel des ouvriers qui travaillent 12h par jour, été comme hiver).

Il subit ensuite une transformation essentielle :

Dans de grands brûlots (ci-dessus) les copeaux de collagène lavées sont moulagesolubilisés à la vapeur d’eau. On récupère ainsi une gélatine molle et très liquide, qui est moulée dans ces boites en fer blanc, refroidie à l’air (ventilateur + clim en été) puis démoulée dans de grands bacs.tranches-de-gelatine

L’étape suivante utilise un fil à couper le beurre -de conception authentiquement égyptienne- pour trancher les blocs cubiques en morceaux épais de deux ou trois centimètres.

bain-blocsCes tranches vont ensuite être déposés dans ces fameux séchoirs vus à l’entrée du quartier. Quelques heures suffisent en été, un ou deux jour en hiver, pour complètement déshydrater la gélatine.

L’opération de solubilisation par intégration de molécules d’eau entre les chaines est révemise-en-grillersible : cette fois l’eau est chassée des interstices entre les fibres de protéines et celles-ci se soudent à nouveau entre elles.

plaqueEt voilà le travail : une plaque de gélatine dure comme du plastique, qui porte encore la trace du grillage de séchage, mais qu’il suffira de plonger dans l’eau chaude pour en faire de la colle à bois…ou des gelées pour les pâtisseries…

Notre interlocuteur nous jure cependant que la gélatine à destination alimentaire n’essechoir2t pas exactement la même : elle est lavée dans des solutions de chaux moins concentrées, et mise à sécher sur des grillages plus propres, sans que nous ayons pu apercevoir ces nuances sur place.

Mais ce qui est sûr c’est que cette gélatine est halal : ce tanneur refuse de récupérer des peaux sur des animaux morts et il va sans dire qu’il n’y a pas un cochon qui met son groin dans le quartier. Nous voilà rassurés et prêts à dévorer du Gelly pour le restant de nos jours !

dscf0002-4

(1) Les secrets de la casserolle, H. This, Belin

6 commentaires leave one →
  1. snony permalink*
    9 décembre 2008 23:07

    Ben ça manque un peu de goémons ici, et puis ce serait dommage de jeter tout ce collagène. Faut juste améliorer l’hygiène de la filière comme on dit à l’UE…

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  2. MAURICE permalink
    9 décembre 2008 22:08

    Et l’Agar Agar, il ne connaisse pas en Egypte ?

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  3. 4 décembre 2008 21:47

    Ca y est, j’ai compris d’où vient mon aversion « viscérale » à la chimie moléculaire…

    Beuark aussi !

    (Mais intéressant quand même !)

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  4. benoît permalink
    4 décembre 2008 21:25

    Effectivement, ça donne pas très envie…
    A combien est le mouton en Egypte ? Au Maroc, il avoisine les 3000 dirhams (soit 290 euros) !

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  5. 3 décembre 2008 21:40

    beurk !

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  6. Périgot permalink
    2 décembre 2008 21:41

    Ben dis donc, ma petite belle-sœur, ça donne pas envie d’en bouffer, de la gélatine. D’autant que moi, ça me renvoie, à la visite qu’on a faite (piégé par un guide attrape-toutou) d’une tannerie à Marrakech. Misère, tristesse et puanteur. On nous avait filé à chacun un bouquet de menthe qualifié de « masque à gaz »… Bises.

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