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la terre leur est tombée sur la tête

7 septembre 2008

En Égypte, même la chute des pierres est politique. Le Muqqatam Le Muqqatam à l'Est de la villequi domine la ville du Caire à l’Est, (photographié depuis mon balcon), et autour duquel gravitaient de génération en génération « les Fils de la la Medina » de Naguib Marfouz, s’est écroulé hier sur une partie du quartier Manshyet Nasr : un quartier qui ne devrait pas être là, peuplé de gens d’une pauvreté qui ne devrait pas exister. Mais voilà, où aller ?

Sans eau potable, sans écoulements des eaux, sans services publics, sans même une route pour y accéder, ils ont donc investi le pied de cet immense rocher dont les blocs de calcaire ont servi depuis des millénaires à construire tout ce que l’Egypte compte de monumental. Sur le haut de ce rocher, un autre quartier, légal celui-là. On y boit le thé et y fume la chicha, à la fraiche des soirs d’automne, tout en contemplant la ville. Il a été construit en oubliant toutefois de prévoir la récupération systématique de ses eaux usées qui se perdent dans les fissures du calcaire, gonflant l’argile des interstices, et provoquant régulièrement des chutes de pierre. Cette fois, ce sont des blocs de plus de 200 tonnes qui sont tombés.

Les autorités parlent de 20 ou 30 morts mais il est évident que ce chiffre sera largement dépassé. Un samedi matin de Ramadan, avant 9h du matin, alors que la rentrée égyptienne n’est pas commencée, les maisons sont pleines d’enfants et d’adultes qui dorment encore. On compte parfois 10 personnes par chambres, et entre 35 et 40 maisons ont été entièrement détruites…

A cette catastrophe s’en ajoute une autre : sans route d’accès, ce quartier est hors de portée des engins qui pourraient venir aider à déblayer et à retrouver des personnes sous les décombres. Sous la pression des habitants qui à mains nues ne parviennent pas à soulever les immenses blocs (voir ces photos du journal Al-Masry al-Yaoum), les autorités ont lancé dans l’urgence un plan B qui fait dans l’incroyable : une voie de chemin de fer a été démontée et une dizaine de maisons supplémentaires vont être démolies pour construire une voie d’accès…

On vérifie une fois de plus que gouverner c’est prévoir, anticiper, organiser la vie collective et que le libéralisme en matière de logement, d’urbanisation, de services publics, de santé, de sécurité…n’est pas l’avenir de l’homme.

Les habitations de Manshyet Nasr font partie de ce qu’on appelle ici l’habitat informel ; un habitat qui n’est pas toujours constitué de tôles et de murs en torchis – il peut même parfois être luxueux- mais qui se construit en dehors des plans de viabilisation officiels. La gestion de l’urbanisme a un tel retard que l’on estime à 40% de la population ceux qui vivraient dans ce type d’habitat. Parfois des quartiers entiers ont poussé comme au Nord de la ville à Shubra, sans eau potable, sans assainissement, sans ramassages d’ordures…Les conditions d’hygième y sont déplorables et appellent, elles aussi, une prise en charge des services publics. L’explosion qui remonte aux années 70 est directement liée à l’explosion démographique : au cours de la décennie 90 par exemple, la ville du Caire a doublé sa surface.

Mais ce n’est pas le seul problème : il existe aussi de nombreux logements vides (10,5 millions selon une évaluation citée par S. Pommier*) en Égypte, notamment dans les luxueuses villes nouvelles qui se construisent en périphérie lointaine de la ville, ou dans les zones touristiques comme en bord de mer rouge (voir ici). Des habitations luxueuses qui ne trouvent pas acheteur, construites par des spéculateurs à la recherche de valeurs refuges. Pendant ce temps, la fourniture de logements « sociaux » est largement en deçà des besoins : l’état fournit environ 100 000 logements par an quand il en faudrait 750 000 pour absorber la croissance démographique. Les récentes hausses du fer à béton, du béton et des autres matériaux de construction ne vont pas arranger l’affaire. Sans compter celles du prix des transports qui rendent inenvisageable pour les plus pauvres un éloignement vers la périphérie de la ville.

La seule solution raisonnable, écologique et durable ce serait d’éradiquer la pauvreté. Mais en attendant que cela devienne un programme national voire international (peut être ne faut-il pas attendre que les riches en aient l’idée), ce sont les pauvres qui prennent les rochers sur la tête.

* « Égypte, l’envers du décor » S. Pommier ed. La Découverte, présentation en ligne

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