Fitna
La rhétorique nous est maintenant bien connue, à tel point que nous pourrions finir par nous y habituer. Heureusement pourrait-on dire, que ce député hollandais d’extrême droite a eu l’idée de la pousser …jusqu’à la caricature.
Geert Wilders, c’est son nom a imaginé (sans trop se cramer les neurones, on espère pour lui) un plan de montage assez simpliste pour un court film qui fait recette sur le net : un verset du Coran est mis à l’écran, traduit approximativement en anglais, puis des images chocs sont simplement apposées, sans commentaire, sans explicitation des sources : on joue sur le sentiment commun, voire la peur commune et l’émotionnel, en tout cas pas sur l’intelligence ni sur l’esprit critique.
Le film -que chacun peut trouver en allant sur les sites habituels (je ne fais pas de lien) – tricotte ad libitum la ficelle. Exemple : la sourate 8 qui cite Mohamed disant en gros « Prépare-les pour organiser la terreur dans le cœur des ennemis d’Allah« , est suivie immédiatement par des images d’avions tombant sur les tours jumelles, puis se mêlent des images d’une gamine de 3ans et demi à qui on fait réciter des propos antisémites avec des scènes d’otages égorgés… C’est à vomir.
Les extraits de la présentation par l’auteur lors de la conférence de presse de lancement, sont abondamment commentés dans la presse égyptienne, malgré une actualité plutôt agitée. Sans pudeur G.W. avance :
- « les opérateurs du site Life Leak qui a lancé le film ont tellement reçu de menaces qu’il a fallu le retirer ; c’est très triste pour la liberté d’expression mais la vie des employés compte avant tout » (aucune preuve de ceci n’est fournie, -même si on sait que cela a eu lieu dans d’autres situations dramatiques- on se souvient aussi de Redecker qui nous a fait le coup en France, jusqu’à ce qu’on découvre que les menaces et « fatwa » se résumaient à un email, envoyé par un petit employé des Postes).
- « je n’ai rien contre les musulmans, mais leur culture est très éloignée de nous et ils sont en train de submerger la nôtre« . Le fameux « concept » de choc des civilisations, dont tout l’occident bien pensant s’est emparé (de gauche à droite) a ceci de pratique c’est qu’on se sent dispensé de toute argumentation.
- la liberté de culte est fondamentale, mais parmi les religions il y en a une qui, par nature, porte la violence en elle, c’est l’Islam. La preuve se trouve dans les pages mêmes de son livre.
- « c’est au nom de la liberté d’expression et d’opinion que je fais ce film, liberté dont la défense s’identifie complètement à notre culture » ; la preuve : ils sont contre !
Le comble, fait remarquer le journal « El-Masry el-Youm » c’est que c’est au nom d’une loi contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme que le gouvernement hollandais a pris la défense de ce torchon (le qualificatif est de moi). Or l’amalgame permanent qui y est fait arabe = musulman = terroriste = ennemi de notre civilisation est 1/ de l’antisémitisme au sens pur (puisque les arabes font partie des peuples sémites) 2/ du racisme pur et dur, désignant à la peur et à la haine toute une partie de l’humanité, assimilant des peuples et leur religion (majoritaire) aux actes de terreur que tout le monde connait.
« Comment expliquer », ajoute Samer Al-Nagar dans ce journal, « que la liberté d’expression occidentale légitime une telle propagande raciste, mais interdit par exemple, la diffusion de la chaîne Al-Manar en France, sous prétexte qu’elle est antisémite ? Comment expliquer le déchainement de haine qui a eu lieu en Europe, suite à l’interview d’un Cheikh marocain (Khalil Al-Maymony) – à Roterdam- à qui on demandait ce qu’il pensait de l’homosexualité, et qui a fait l’objet de plaintes indénombrables parce qu’il avait répondu que c’était pour lui « une maladie qui menace la survie de la société« . Pourquoi cette opinion est-elle condamnable alors que l’anti-islamisme primaire ne l’est pas ? Pourquoi l’insulte de notre Prophète, -la prière et le salut sur lui-, doit-elle être permise par cette liberté d’expression alors que dans le même temps, toute critique des juifs et de ce qu’ils font en Palestine est interdit ? »
Il y a à boire et à manger dans cet argumentaire. Par exemple l’homophobie à la fois hégémonique et officielle, de la société égyptienne (encore 5 homosexuels jettés en prison la semaine dernière) exige pour le moins qu’un papier évoquant la question et condamnant les images stéréotypées, la condamne elle aussi. Sans compter que l’on peut faire un argumentaire contre les insultes aux musulmans sans se sentir obligé de faire suivre systématiquement le mot « prophète » de « la prière et le salut sur lui« .
Mais pour l’essentiel, la question qui est posée à l’occident (si tant est que ce soit une entité homogène) est terrible : comment osons-nous nous présenter comme les chantres de la liberté d’expression alors que celle-ci ne peut pas s’appliquer dans les faits, à la critique d’Israël et de sa politique impérialiste, colonialiste, et discriminatoire envers le peuple palestinien ? Pourquoi dans les faits une insulte collective de tous les musulmans les assimilant à des meurtriers est-elle possible alors que cela relève de l’amalgame raciste ?
Fitna voulant dire (entre autres) schisme, un jeune répondant au pseudo de falsafa (philosophie en arabe) a fait un anti-fitna sur le même site de diffusion. La réponse était facile : s’il suffit d’extraire les pages d’un livre écrit il y a plus de mille ans de leur contexte, pour leur faire dire quelque chose de la réalité d’aujourd’hui, la Bible peut largement faire l’affaire, apposée à des images des crimes commis en Irak, en Afghanistan par les partisans du « Camp de Jesus« (1), dont de larges extraits illustrent le film. Mais il a l’intelligence d’ajouter à la fin qu’il ne croit pas un instant que les propos sanguinaires qu’il a pu y trouver caractérisent la religion concernée et l’ensemble de ses pratiquants.
Cela mériterait bien que Falsafa soit élu député. Malheureusement s’il est citoyen d’un pays arabe, il a peu de chances d’être élu, voire de voter. Alors que nous européens, nous avons de plus en plus d’élections,… et de plus en plus de députés d’extrême droite.
Il faudrait peut être réfléchir à deux fois avant de balancer à la figure de tous les peuples opprimés du monde notre « modèle de démocratie et de libertés », tout en piétinant les valeurs qui les fondent. Les modèles de société, faut-il le rappeler, n’ont pas réussi à transformer le monde. On pourrait même dire qu’ils ont constitué dans l’histoire un puissant empêchement à le rêver, individuellement et collectivement. C’est peut être même pour ça qu’un député d’extrême droite, à l’instar des vautours de la Maison Blanche, se délecte d’une telle pratique…
Tout à fait d’accord avec toi, Sylvie. Il ne suffit pas aux pays occidentaux d’agiter « la liberté » et « les droits de l’homme » comme des épouvantails à la face des autres pays pour être crédibles et pour avoir la primauté de la parole.
Une autre remarque : j’ai l’impression que les Musulmans ont une vue assez restreinte de ce qu’est l’Islam dans son ensemble. Les Marocains, par exemple, savent très peu que leur religion est, désormais, en grande partie, asiatique !
Du coup, le discours totalisant de certains Musulmans radicaux (LA vérité dans le Coran et LA pratique de l’Islam) est ridicule… Il y a certes une seule religion, mais des multiples façons de l’aborder. Et puis, il ne faut pas confondre foi et pratique. Car au Maroc, le degré de « religiosité » d’un individu se mesure souvent à ses « pratiques » et très rarement à son degré de réflexion philosophique et théologique…
Bises !
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Bonjour,
Cette vidéo soulève de nombreux points et ton article a le mérite d’aborder de nombreux d’entre eux.
Je voudrais juste rebondir sur une de tes phases « l’occident (si tant est que ce soit une entité homogène) ».
S’il est évident pour les occidentaux que l’occident comporte n’est pas un, il n’est pas évident pour les occidentaux de concevoir que le monde musulman du Maroc à L’indonésie n’est pas entier et que le monde arabe ne se confond pas avec le monde musulman.
Il est va de même pour la religion (c’est encore plus difficile à admettre pour les uns et les autres) mais la pratique du catholicisme diffère entre la Bolivie et la Pologne.
Pour conclure j’aime bien l’idée d’un anti fitna, (si cela n’envenimait une situation difficile). Cela a le mérite de d’inciter à un regard sur sa propre culture.
S.
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